Les femmes guinéennes face aux défis de l’autonomisation économique

Les femmes guinéennes face aux défis de l'autonomisation économique

Un potentiel encore sous-exploité

En Guinée, les femmes représentent plus de la moitié de la population. Elles occupent une place essentielle dans le tissu social et économique, notamment en milieu rural où elles sont les premières actrices de l’agriculture et du petit commerce. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’accès au financement, à la formation ou à la prise de décision économique, elles restent souvent à la marge.

Si l’autonomisation économique des femmes fait partie des discours politiques depuis des années, les progrès demeurent inégaux et les défis nombreux. Pourquoi tant de potentialités restent-elles inexploitées ? Et que faut-il concrètement pour changer la donne ?

Des barrières tenaces, entre traditions et systèmes rigides

Pour beaucoup de Guinéennes, se lancer dans une activité génératrice de revenu n’est pas un choix, mais une nécessité. Pourtant, les obstacles surgissent dès les premières étapes. L’accès au financement formel, par exemple, est un parcours semé d’embûches. Faute de garanties ou de présence bancaire suffisante dans les zones rurales, nombreuses sont celles qui dépendent des tontines ou de soutiens informels souvent instables.

Kady, vendeuse de légumes au marché de Taouyah, explique : « Même ouvrir un petit commerce, ce n’est pas facile. J’ai dû emprunter chez trois voisines pour acheter mon premier lot de marchandises. À la banque, on m’a demandé des papiers que je n’ai pas. »

Au-delà des contraintes financières, les normes sociales pèsent également. Le rôle traditionnel assigné aux femmes limite leurs opportunités d’éducation et d’apprentissage. Selon une enquête du ministère de la Promotion Féminine, seules 32 % des Guinéennes ont accès à des formations techniques ou entrepreneuriales. Les jeunes filles, dès le collège, sont souvent orientées vers les tâches domestiques, réduisant leurs perspectives d’avenir économique indépendant.

L’entrepreneuriat féminin : entre débrouillardise et créativité

Malgré ces freins, les femmes guinéennes font preuve d’une ingéniosité remarquable. L’économie informelle, dans laquelle elles sont largement représentées, repose en grande partie sur leur dynamisme. Que ce soit dans la transformation agroalimentaire, la couture, la coiffure ou le petit commerce, elles innovent constamment pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

À Labé, Fatoumata, 42 ans, transforme des épluchures de fruits en compost bio qu’elle vend à des agriculteurs locaux. « J’ai appris ça par moi-même, en écoutant des émissions à la radio. Ce n’est pas grand-chose, mais ça m’aide à payer les frais de scolarité de mes enfants », raconte-t-elle avec fierté.

Ces exemples, bien que nombreux, restent souvent invisibles dans les statistiques officielles. Pourtant, ils illustrent des micro-révolutions silencieuses en cours dans tout le pays.

Le rôle crucial des formations et de l’accompagnement

L’un des leviers les plus puissants pour favoriser l’autonomisation économique des femmes est sans doute l’éducation, au sens large. Il ne s’agit pas seulement d’instruire, mais de former, de coacher, de professionnaliser.

Des ONG comme Africaines & Solidaires ou la fondation WOMEN POWER GUINÉE forment chaque année des centaines de femmes à la gestion financière, à la transformation locale des produits du terroir ou encore aux techniques de marketing digital. Ces initiatives, bien que localisées, démontrent que lorsque les femmes sont dotées des bons outils, elles deviennent des actrices économiques à part entière.

À Kindia, Mariama a suivi une formation en gestion de projet local initiée par une ONG. Trois mois plus tard, elle lançait une savonnerie artisanale avec deux autres femmes de son quartier. Elle témoigne : « On a appris à planifier, à budgétiser, à vendre… C’est comme si on avait trouvé notre voix. »

Un appui institutionnel encore insuffisant

Le gouvernement guinéen a mis en place plusieurs programmes censés favoriser l’émancipation économique des femmes : aides à l’entrepreneuriat, maisons de la femme, accessibilité au crédit rural. Mais sur le terrain, les retombées tardent à se faire sentir.

D’après une étude menée par le PNUD en 2023, seulement 27 % des femmes ayant connaissance d’un programme public de soutien ont effectivement pu en bénéficier. Le manque de communication, la complexité administrative et parfois le favoritisme freinent l’accès équitable à ces ressources.

Là encore, le besoin d’une gouvernance plus transparente et d’un accompagnement de proximité est criant. Car sans relais locaux forts, même la meilleure politique publique risque de rester lettre morte.

Et les hommes dans tout ça ?

L’autonomisation économique des femmes ne se fera pas contre les hommes, mais avec eux. Impliquer les maris, les chefs de communauté et les leaders religieux dans cette démarche est essentiel pour changer les mentalités.

À N’Zérékoré, un programme pilote a proposé des sessions de sensibilisation mixtes autour des inégalités économiques et des droits financiers des femmes. Résultat : des maris qui soutiennent les initiatives de leurs épouses, des hommes qui investissent avec elles, et un climat familial plus serein.

L’approche collaborative semble porter ses fruits là où elle est mise en œuvre sérieusement. Il ne s’agit pas de partager des slogans, mais de créer des espaces où les hommes prennent conscience de l’intérêt collectif de l’autonomisation féminine.

Les TIC, une opportunité à saisir

Dans un contexte où le numérique gagne du terrain, les technologies de l’information représentent une chance unique pour les femmes guinéennes, notamment les plus jeunes. Plateformes de commerce en ligne, groupes WhatsApp de partage d’expérience, formations à distance… les usages se diversifient.

Souad, une lycéenne de Conakry, anime une page Instagram de bijoux faits main. Elle vend via Mobile Money et développe peu à peu sa marque. « J’ai appris les bases du marketing sur YouTube et j’ai trouvé ma première cliente grâce à TikTok », explique-t-elle.

Mais cette digitalisation reste encore marginale. Selon l’ARPT, seulement 18 % des femmes rurales possèdent un smartphone compatible avec les outils numériques. La fracture technologique, si elle n’est pas comblée, risque donc de reproduire voire d’accentuer les inégalités existantes.

Quelles pistes pour aller plus loin ?

Pour que l’autonomisation économique des femmes ne soit plus un simple effet d’annonce, plusieurs leviers peuvent être activés :

  • Faciliter l’accès au microcrédit : en réduisant les exigences des banques et en diversifiant les formes de garanties (groupements solidaires, caution communautaire).
  • Renforcer les formations techniques de proximité : adaptées aux réalités locales, avec un appui à long terme.
  • Valoriser les success stories locales : afin d’offrir des modèles inspirants, ancrés dans le vécu des Guinéennes.
  • Impliquer davantage les hommes : pour favoriser un changement durable des normes sociales.
  • Déployer les outils numériques : en subventionnant les smartphones, en formant aux usages pratiques, et en connectant les groupes de femmes aux marchés en ligne.

Au-delà des politiques, c’est la persévérance quotidienne de milliers de femmes guinéennes qui porte déjà les prémices d’un changement profond. En leur tendant la main, en les écoutant, en leur donnant les moyens d’agir, c’est toute une société que l’on aide à se relever, à s’enrichir et à mieux se projeter.