Les hôpitaux guinéens face au défi d’un meilleur accès aux soins

Les hôpitaux guinéens face au défi d’un meilleur accès aux soins

Un système hospitalier en quête de souffle

En Guinée, l’accès aux soins de santé reste un défi majeur pour bon nombre de citoyens. Si des hôpitaux existent dans la plupart des grands centres urbains, la réalité quotidienne révèle un système sous tension : manque d’équipements, personnels médicaux en sous-effectif, infrastructures vieillissantes… Pourtant, dans tout cela, des hommes et des femmes s’accrochent et font fonctionner, tant bien que mal, un secteur vital pour des millions de Guinéens.

À travers cet article, nous vous emmenons à la découverte des hôpitaux guinéens. Quelles sont les principales difficultés ? Quelles solutions émergent du terrain ? Comment les communautés locales s’impliquent-elles pour améliorer l’accès aux soins ? Une plongée dans les arcanes d’un système hospitalier en lutte permanente pour redonner espoir aux malades.

Manques structurels : la réalité derrière les murs

Il suffit de franchir le seuil de l’hôpital Ignace Deen ou Donka à Conakry pour mesurer l’étendue des défis. L’un fait figure d’hôpital de référence, l’autre subit les séquelles d’années d’usure et de réhabilitation tardive. Si les rénovations entamées à Donka ont amélioré certaines conditions, les retards liés à des procédures administratives et à des problèmes financiers ont freiné l’élan escompté.

Dans les hôpitaux régionaux et préfectoraux, la situation est souvent plus difficile. À l’hôpital régional de Kankan par exemple, plusieurs témoignages recueillis sur place signalent un manque chronique de médicaments de première nécessité, un plateau technique limité, et des coupures de courant régulières qui perturbent la bonne marche des services.

Ce ne sont pas seulement les équipements qui font défaut : les spécialistes aussi. Le ratio médecin-patient reste très bas. Selon les données du ministère de la Santé, la Guinée comptait environ 1 médecin pour 10 000 habitants en 2022. Or, les standards de l’Organisation mondiale de la santé recommandent au moins 1 médecin pour 1000 habitants. Cette pénurie touche particulièrement les zones rurales, où peu de praticiens acceptent de s’installer par manque d’encadrement et d’incitations.

La barrière du coût : se soigner, à quel prix ?

Si l’hôpital public est en principe accessible à tous, les coûts directs des consultations, examens et traitements restent élevés pour une grande partie de la population. À Boké, dans le nord-ouest du pays, Mariam, mère de trois enfants, raconte avoir dû vendre son petit commerce de condiments pour financer l’hospitalisation de son fils atteint de paludisme sévère.

« On m’a demandé de payer les médicaments, les perfusions, même les compresses. Et tout ça, dans une structure publique. J’ai tout dépensé, je n’ai plus rien », confie-t-elle, la voix chargée d’amertume.

La question des assurances santé reste également taboue pour beaucoup. Le système d’assurance-maladie n’est toujours pas généralisé et les mutuelles communautaires restent trop peu nombreuses et peu connues. En conséquence, des milliers de Guinéens évitent les hôpitaux ou y arrivent trop tard, aggravant leur état de santé et les risques de complications.

Des avancées timides, mais essentielles

Malgré un paysage hospitalier contrasté, certains efforts suscitent l’espoir. Le programme de réforme du secteur de la santé, lancé en partenariat avec des bailleurs internationaux comme la Banque mondiale et l’UNICEF, vise à renforcer les capacités en infrastructures et en personnels. L’agrandissement du Centre Hospitalier National de Donka en est un exemple visible, même si les délais de livraison et les coûts suscitent parfois des polémiques.

Des ONG locales comme AGIS (Agir pour la Guinée en Santé) mettent également en place des campagnes mobiles de soins dans les zones enclavées. Avec des unités de santé mobiles, des consultations gratuites et de la sensibilisation, elles permettent de désengorger les grands centres hospitaliers et d’atteindre des populations vulnérables.

Autre initiative à saluer : la formation des agents de santé communautaire. Dans certaines localités, tels que Faranah ou Dinguiraye, ces agents, appelés parfois « docteurs des villages », assurent une présence médicale minimale en lien avec les centres de santé locaux. Ils jouent un rôle-clé dans le dépistage, la prévention et l’accompagnement thérapeutique.

L’implication communautaire : une force sous-exploitée

Si l’État peine à répondre à tous les besoins, certaines communautés prennent les devants. À Labé, un groupement de femmes a lancé une tontine médicale pour venir en aide aux membres de leur quartier en cas d’urgence. Les cotisations hebdomadaires permettent de constituer un fonds commun servant à financer des soins urgents ou à acheter des médicaments de base.

« Quand une de nous tombe malade, le fonds prend en charge les premiers frais. C’est mieux que de rester à la maison à attendre qu’un miracle se produise », explique Aminata Bah, l’une des fondatrices du groupement.

L’engagement citoyen s’étend également à la rénovation volontaire de postes de santé, à la collecte de fonds pour équiper des maternités rurales ou encore à la mise en place de comités de veille sanitaire dans certaines communes.

Quand les soignants résistent : histoires du terrain

Malgré les conditions précaires, beaucoup de personnels de santé continuent d’exercer leur métier avec un dévouement admirable. Le docteur Thierno, chirurgien dans un hôpital régional en Moyenne Guinée, raconte avoir mené des opérations d’urgence à la lumière de son téléphone, en raison d’une panne d’électricité prolongée.

« On ne peut pas toujours attendre. Un patient qui saigne abondamment, il faut l’opérer. On fait avec les moyens du bord. Ce n’est pas idéal, mais c’est ça ou rien », dit-il avec calme.

Certains infirmiers en zone rurale assurent à la fois les consultations, les accouchements, la vaccination… et parfois même les urgences chirurgicales. Une polyvalence forcée qui témoigne aussi d’un manque de suivi et de formation continue. Pourtant, ces soignants disent leur fierté de servir, malgré les manques.

Vers une réforme du système hospitalier ?

Face à cette situation, les grandes lignes d’une réforme du système hospitalier se dessinent, même lentement. Le ministère de la Santé a lancé une stratégie nationale de couverture sanitaire universelle qui vise à améliorer l’accès équitable aux soins d’ici 2030. Cela passe par :

  • La construction et la réhabilitation d’établissements hospitaliers.
  • L’amélioration de la rémunération et de la formation du personnel médical.
  • La digitalisation des services hospitaliers pour mieux gérer les dossiers médicaux.
  • La mise en œuvre progressive d’une assurance santé publique.

Mais cette réforme ne peut porter ses fruits sans une volonté politique forte, une lutte effective contre la corruption dans le financement du secteur, et une implication active des citoyens eux-mêmes.

Le rôle du tourisme médical : une opportunité ou un mirage ?

Dans certains pays africains, le développement du tourisme médical a permis d’améliorer l’offre de santé, avec des cliniques privées modernes attirant des patients de la diaspora ou des pays voisins. En Guinée, ce secteur reste embryonnaire, mais des cliniques privées comme Ambroise Paré ou Lamine peuvent parfois offrir des services spécialisés, à condition d’y mettre le prix.

Pour les classes moyennes urbaines, ces structures représentent une alternative temporaire, mais elles restent largement hors de portée pour la majorité. Miser sur le tourisme médical sans d’abord renforcer le système de santé publique serait une fuite en avant. Néanmoins, un partenariat public-privé mieux régulé pourrait faire avancer certains projets pilotes dans ce domaine.

Et ensuite ?

Redonner un souffle au système hospitalier guinéen demande plus que des réformes sur le papier. Cela exige d’écouter les professionnels de la santé, de mobiliser les communautés, d’investir de manière intelligente et durable. À la croisée des chemins, la Guinée peut choisir de bâtir un modèle de santé plus inclusif, plus résilient et plus proche des besoins réels de sa population.

Car au fond, n’est-il pas temps que chacun, en Guinée, puisse aller à l’hôpital sans craindre le pire ?