Les Guinéens de la diaspora investissent dans l’économie locale

Les Guinéens de la diaspora investissent dans l’économie locale

Un retour aux sources… économiques

Depuis plusieurs années, un phénomène discret mais profondément structurant se dessine à l’horizon économique de la Guinée : celui des investissements grandissants des Guinéens de la diaspora dans leur pays d’origine. Entre initiatives entrepreneuriales, constructions immobilières, projets agricoles et transferts de compétences, ces citoyens de l’extérieur participent activement à la vitalisation de l’économie locale. Un choix qui est loin d’être anodin et qui s’inscrit dans une dynamique à la fois patriotique et stratégique.

Des chiffres révélateurs d’un engagement croissant

Selon les données de la Banque centrale de la République de Guinée, la diaspora guinéenne transférait en 2022 plus de 600 millions de dollars en devises, un chiffre en constante augmentation sur la dernière décennie. Ces envois, traditionnellement utilisés pour le soutien aux familles, évoluent désormais vers des investissements structurés.

« Quand j’ai décidé de rentrer pour lancer ma ferme avicole à Kindia, j’ai voulu créer de l’emploi local et produire ce que j’envoyais avant depuis l’étranger. Aujourd’hui, je nourris le marché local avec une production de 10 000 œufs par semaine », confie Mamadou Ba, rentré de France il y a trois ans. Son exemple n’est pas isolé.

Entre entrepreneuriat social et opportunités d’affaires

Les motivations des investisseurs de la diaspora se recoupent autour de deux axes : le désir de contribuer au développement du pays, et la détection d’opportunités d’affaires rendues possibles par une économie encore en pleine structuration. Le manque de services structurés dans des secteurs comme l’agriculture, le tourisme local, la transformation alimentaire ou encore la santé, offre un terrain fertile pour innover tout en répondant à une demande réelle.

Fatoumata Camara, ingénieure en télécom basée à Montréal, a cofondé une start-up proposant des solutions de paiement mobile adaptées aux zones rurales. « Notre objectif est de relier les villages à l’économie numérique, mais derrière, il y a un vrai business model viable », explique-t-elle. Son entreprise embauche aujourd’hui une trentaine de jeunes diplômés dans la région de Boké.

Le secteur immobilier, un point d’ancrage privilégié

Les constructions immobilières représentent une part importante des investissements des Guinéens de l’étranger. Au-delà du rêve de bâtir « sa maison au pays », se profile souvent une logique de rendement économique : location meublée, résidences touristiques ou hébergements pour expatriés.

Dans certains quartiers de Conakry comme Kipé, Lambanyi ou encore Sonfonia, des lotissements entiers portent la marque des investissements venus de l’étranger. Des coopératives de la diaspora se forment pour acquérir des terrains et mutualiser les coûts de construction, à l’image de l’initiative “Kissidougou Développement” lancée par des Guinéens résidant aux États-Unis.

Tourisme et artisanat : de nouveaux terrains d’investissement

Le tourisme local, longtemps négligé, attire de plus en plus l’attention de ceux qui rêvent d’allier passion du pays et rentabilité. Certains membres de la diaspora ont créé des agences de voyage spécialisées dans le tourisme communautaire, comme “Terre de Guinée”, fondée par un couple revenu de Belgique. Leur concept : proposer des circuits dans les zones rurales avec hébergement chez l’habitant et découverte des savoir-faire locaux.

D’autres parient sur la valorisation de l’artisanat guinéen en le rendant accessible au marché international. À Mamou, Aminata Sylla a installé un atelier de tissage traditionnel qui travaille en collaboration avec des designers basés à Paris. Ses étoffes se vendent désormais en Europe et en Amérique du Nord.

Des défis persistants malgré la bonne volonté

Investir en Guinée depuis l’étranger reste un parcours semé d’embûches. L’insécurité juridique, les lenteurs administratives, l’instabilité politique et les coupures d’électricité sont autant de freins régulièrement évoqués. À cela s’ajoute la difficulté à faire confiance à des intermédiaires dans la gestion à distance.

Bocar Diallo, installateur de panneaux solaires à Abidjan, raconte avoir perdu près de 80 millions de GNF dans une tentative de lancement de projet à Dalaba. La faute à une mauvaise gestion locale en son absence. « Il faut être sur place ou avoir un partenaire vraiment fiable. Sinon, même les meilleures idées tombent à l’eau. »

Face à cela, plusieurs plateformes d’accompagnement fleurissent, telles que “Invest Diaspora Guinée” ou encore le réseau de mentoring “Wakili”, qui visent à sécuriser les projets, former les porteurs d’initiatives et créer un lien entre les retours souhaités et les réalités du terrain.

Des retombées économiques et sociales palpables

Au-delà des chiffres et des montants investis, c’est surtout l’effet sur les communautés que l’on mesure. Les projets issus de la diaspora permettent souvent de :

  • Créer des emplois locaux, notamment pour les jeunes sans qualification
  • Stimuler la consommation de produits locaux et la chaîne de transformation
  • Encourager l’innovation technologique dans des secteurs traditionnels
  • Renforcer les liens culturels et sociaux entre les Guinéens de l’intérieur et ceux de l’extérieur

Les familles bénéficient non seulement d’un soutien financier, mais aussi d’un accès à des services innovants, souvent inspirés par les standards étrangers. C’est le cas par exemple de l’École “Excellence Académie” à Labé, fondée par un Guinéen rentré de Suisse, qui introduit des méthodes pédagogiques alternatives dans le système éducatif local.

Vers une meilleure coordination des énergies

Ces initiatives individuelles commencent à susciter l’intérêt des autorités guinéennes, qui voient dans la diaspora un partenaire économique à part entière. Le ministère des Affaires étrangères a ouvert un service dédié au dialogue avec la diaspora, tandis que des forums d’investissement commencent à intégrer cette catégorie d’acteurs.

Mais pour transformer ces efforts en leviers durables, plusieurs pistes sont à envisager :

  • La création de guichets uniques pour simplifier les procédures d’investissement
  • Un accès facilité au financement bancaire pour les projets portés depuis l’étranger
  • Le recensement et la cartographie des compétences de la diaspora pour mieux les mobiliser
  • La mise en place de garanties juridiques protégeant les investisseurs contre les litiges locaux

La balle est désormais dans le camp des deux parties : aux Guinéens de la diaspora de structurer davantage leurs projets, et à l’État d’offrir un environnement propice à leur déploiement.

Une dynamique à ne pas freiner

Loin d’être une simple tendance, l’investissement des Guinéens de l’étranger est devenu un catalyseur de changement pour l’économie locale. Il réinvente les liens entre le pays d’origine et ses fils exilés, établissant une nouvelle forme de patriotisme actif. Comme le dit si bien Kadiatou, entrepreneure agroalimentaire revenue de Londres : « On n’attend pas le développement, on le bâtit, brique par brique – et pour moi, ces briques, elles viennent de la diaspora. »

Et si ces retours continuaient à dessiner les contours d’une Guinée plus autonome et plus résiliente ? Une chose est sûre : le potentiel est là. Reste à l’accompagner intelligemment.