Les conséquences de la hausse des prix sur les ménages guinéens

Les conséquences de la hausse des prix sur les ménages guinéens

Depuis plusieurs mois, les ménages guinéens jonglent avec une réalité de plus en plus difficile à appréhender : la flambée des prix des produits de première nécessité. Riz, huile, sucre, transport… rien n’échappe à cette envolée qui s’infiltre dans toutes les sphères du quotidien. En Guinée comme ailleurs, l’inflation n’est pas qu’une donnée économique ; elle a un visage, celui des familles confrontées aux fins de mois de plus en plus serrées. Comment cette hausse des prix affecte-t-elle réellement les ménages ordinaires ? Quels sont les mécanismes en jeu, et surtout, quelles stratégies les familles guinéennes mettent-elles en place pour tenir bon ?

Une réalité qui s’impose jour après jour

Dans les marchés de Conakry, Labé ou Kankan, les vendeuses, panier à la main, constatent la même chose : « Les prix changent presque chaque semaine, on ne sait plus comment gérer », confie Mariama, commerçante au marché de Madina. Le sac de riz de 50 kilos, qui coûtait autour de 250 000 GNF en 2022, dépasse aujourd’hui les 400 000 GNF. L’huile d’arachide locale, pourtant moins chère que son équivalent importé, n’échappe pas à la règle, suivant la tendance haussière des prix des matières premières.

Selon les données du ministère du Commerce, l’inflation annuelle en 2023 a franchi la barre des 12 %, une hausse qui affecte directement le panier de la ménagère. Et dans un pays où le revenu mensuel moyen reste inférieur à 1 000 000 GNF pour une grande partie de la population active, ces augmentations pèsent lourd.

Les ménages les plus vulnérables en première ligne

Ce sont les familles à faibles revenus, habitant souvent à la périphérie urbaine ou en zones rurales, qui paient le prix fort. Avec un budget alimentaire qui représentait déjà plus de 60 % de leurs dépenses mensuelles, toute hausse se traduit par une réduction immédiate de la consommation.

Pour certains, cela veut dire sauter des repas. Pour d’autres, réduire les portions ou se tourner vers des produits de qualité inférieure. Des mères de famille nous ont confié avoir remplacé le riz par du manioc ou de la patate douce, moins coûteux mais parfois moins nourrissants. D’autres font l’impasse sur la viande ou le poisson, relégués au rang de produits de luxe.

Abdoulaye, père de six enfants à Dubréka, illustre bien cette situation : « Avant, on mangeait trois fois par jour. Aujourd’hui, les jours où les affaires ne marchent pas, on se contente du matin et du soir. Les enfants ne comprennent pas toujours… »

Un cercle vicieux : alimentation, santé, éducation

Moins manger ou mal manger, ce n’est pas qu’une question d’appétit. C’est aussi une question de santé. Les professionnels de la santé communautaire alertent sur une recrudescence des cas de malnutrition chez les enfants et les femmes enceintes. L’accès à des aliments nutritifs devient de plus en plus difficile, surtout dans les zones éloignées des centres urbains.

Mais au-delà de l’alimentation, la hausse des prix affecte aussi d’autres secteurs, à commencer par l’éducation. Les frais de scolarité, les fournitures, le transport des enfants jusqu’à leurs écoles deviennent des charges que certains ménages ont du mal à assumer. « Cette année, mon petit dernier ne va pas encore à l’école. On a préféré garder l’argent pour la nourriture », raconte Aminata, mère au foyer à Kissidougou.

Transport : un casse-tête quotidien

Le coût du transport constitue un autre poste de dépense devenu insupportable pour beaucoup. Avec une flambée du coût du carburant en 2023, les tarifs des taxis et mototaxis ont explosé. Un trajet de Dixinn à Kaloum, par exemple, qui coûtait 3 500 GNF, atteint désormais souvent 5 000 GNF, voire plus selon les heures de pointe.

Ce renchérissement a non seulement un impact direct sur les personnes se rendant au travail, mais également sur les petites commerçantes et revendeuses de denrées, qui doivent ajouter ce coût au prix final de leurs marchandises. Le transport devient dès lors un multiplicateur silencieux de l’inflation.

Des stratégies locales pour faire face

Face à la dureté de la situation, les ménages guinéens développent des astuces, souvent ingénieuses, pour amortir le choc :

  • La mutualisation des repas : plusieurs familles de quartiers se regroupent pour faire la cuisine ensemble, partageant les frais et les tâches.
  • Le retour au jardinage : en périphérie, certaines familles cultivent leur propre mais, ail ou légumes pour réduire la dépendance aux marchés.
  • Des achats groupés : notamment pour le riz ou l’huile, les voisins cotisent pour acheter en gros volumes et obtenir un meilleur prix.
  • Substituer et négocier : familles qui troquent, ou qui négocient directement avec les producteurs au lieu de passer par les circuits classiques.

Ces solutions ne suffisent pas toujours, mais elles témoignent d’une résilience impressionnante face à l’adversité.

Un impact sur les dynamiques sociales

La hausse continue des prix ne transforme pas uniquement la consommation. Elle modifie aussi les relations sociales. Dans certains quartiers, elle renforce les solidarités. Dans d’autres, elle crée des tensions. Les femmes, surtout, se retrouvent en première ligne, chargées de « faire des miracles » avec des budgets de plus en plus petits.

Fatoumata, leader d’une coopérative féminine à Mamou, nous confie : « Avant, les femmes cotisaient pour faire tourner le groupement. Aujourd’hui, chacune se bat pour nourrir sa famille. Les activités communes sont au ralenti. »

L’économie informelle, elle, tente d’absorber la secousse. Plusieurs jeunes, ayant perdu leur emploi ou dont les revenus ont chuté, se sont tournés vers le petit commerce ambulant, la conduite de taxi-moto ou la vente de produits importés. Mais cette reconversion ne compense pas toujours la perte de pouvoir d’achat.

Le rôle de l’État et des institutions

Face à cette situation, les attentes envers les pouvoirs publics sont grandes. Certains rappellent les promesses de régulation des prix, de renforcement de la production locale ou de subventions sur les produits essentiels. Mais dans les faits, les ménages attendent encore des mesures concrètes et durables.

Le ministère du Commerce a lancé, début 2024, une campagne de sensibilisation contre la spéculation sur les marchés, mais son efficacité reste limitée. La Banque Centrale, de son côté, peine à enrayer la spirale inflationniste, étroitement liée aux fluctuations internationales et à la dépréciation du franc guinéen.

L’Organisation des Consommateurs de Guinée (OCG) appelle à plus de transparence sur la formation des prix et à une implication active des groupements de consommateurs dans les décisions politiques. « Il faut que les voix des citoyens soient entendues », martèle son coordinateur, Ibrahima Sory Bah.

Vers des solutions durables ?

En attendant, plusieurs experts s’accordent sur la nécessité de solutions structurelles :

  • Soutenir l’agriculture locale, pour réduire la dépendance aux importations volatiles.
  • Mieux encadrer les circuits de distribution pour limiter la spéculation.
  • Soutenir les initiatives communautaires et les coopératives féminines.
  • Renforcer les mécanismes de protection sociale, notamment pour les mères seules, les personnes âgées et les familles en situation de handicap.

Ce sont autant de pistes à explorer pour enrayer la spirale de l’appauvrissement progressif. Car si la conjoncture mondiale n’épargne aucun pays, la résilience guinéenne mérite d’être solidement appuyée par une volonté politique forte et une écoute attentive des réalités de terrain.

« Ce que nous demandons, ce n’est pas des miracles », conclut Fatoumata, la commerçante de Mamou. « C’est juste qu’on nous aide à tenir debout. »