Le rugby séduit de plus en plus la jeunesse guinéenne

Le rugby séduit de plus en plus la jeunesse guinéenne

Un ballon ovale au cœur des quartiers : un engouement inattendu

Dans les rues de Conakry comme dans certaines villes de l’intérieur du pays, une étrange balle ovale suscite de plus en plus l’intérêt des jeunes. Le rugby, longtemps méconnu du grand public guinéen, commence à s’imposer comme une alternative sportive sérieuse et stimulante. D’abord perçu comme un sport réservé aux pays du Commonwealth ou aux élites sportives européennes, il devient peu à peu une discipline accessible, voire attractive, pour une jeunesse avide de nouveauté, de cohésion et de dépassement de soi.

Ce phénomène intrigant reflète une mutation discrète mais significative dans la manière dont les jeunes Guinéens occupent leur temps libre et rêvent leur avenir. Alors, comment le rugby est-il en train de conquérir un public fidèle en Guinée ? Quelles sont les dynamiques à l’œuvre derrière cet engouement ? Éclairages sur un sport en pleine percée.

Un sport exigeant, mais fédérateur

Contrairement à une idée reçue, le rugby ne se résume pas à des plaquages musclés et des mêlées impressionnantes. Il se distingue par des valeurs de solidarité, d’engagement, de respect et de discipline. C’est justement ce socle de principes qui séduit une frange croissante de la jeunesse guinéenne, en quête d’identification, de repères et d’un esprit de groupe. « Dans une équipe de rugby, il n’y a pas de place pour l’individualisme. On avance ensemble ou on tombe ensemble », explique Idrissa Bah, entraîneur du Rugby Club de Ratoma, l’un des plus actifs de la capitale.

Le rugby se joue aussi bien sur le terrain qu’en dehors. Il structure les comportements, incite au sens du collectif et favorise l’endurance physique. Pour de nombreux jeunes issus de milieux modestes, l’accès à ce sport représente une bouffée d’air, une manière de canaliser l’énergie et d’apprendre à gérer les frustrations. Beaucoup y voient également une opportunité de voyager, de participer à des compétitions sous-régionales, voire de décrocher des bourses à l’international.

Des initiatives locales qui font la différence

À l’origine de cette vague rugbystique, plusieurs initiatives locales émergent pour démocratiser la pratique. Depuis 2017, la Fédération Guinéenne de Rugby (FGR) multiplie les campagnes de sensibilisation dans les écoles, les universités et les centres de jeunes à travers des démonstrations, des ateliers d’initiation et des matchs amicaux.

Par ailleurs, des clubs communautaires flourissent notamment à Matoto, Dubréka, Coyah et Labé. Ces structures, le plus souvent bénévoles et autogérées, jouent un rôle déterminant : elles identifient les talents, les encadrent et leur offrent un espace d’expression. Parmi les pionniers, le Rugby Club de Kipé a su se faire une réputation grâce à sa mixité et à sa participation à plusieurs tournois internationaux en Afrique de l’Ouest.

« Nous avons commencé avec trois ballons, deux plots et beaucoup de volonté », sourit Aïssatou Conté, fondatrice du club. Aujourd’hui, son équipe féminine compte une vingtaine de joueuses régulières, dont plusieurs ont été sélectionnées pour intégrer l’équipe nationale. Une fierté, mais surtout un moteur pour d’autres jeunes filles désireuses de bousculer les stéréotypes autour du sport féminin.

Le rugby féminin : un terrain d’émancipation

En Guinée, où les normes de genre influencent encore fortement l’accès au sport, le rugby féminin constitue une avancée remarquable. Bien plus qu’une simple discipline physique, il devient pour certaines femmes un levier d’émancipation. À Conakry, Boubacar Barry, formateur au sein de la FGR, témoigne : « Nous voyons dans le rugby une chance de permettre à nos sœurs de montrer qu’elles aussi peuvent être fortes, résistantes et compétitrices. Elles changent l’image qu’on se fait d’elles à travers le sport. »

Les témoignages confirment cette réalité. Mariama, 19 ans, nouvelle recrue du club de Kaloum, avoue : « Avant, je n’arrivais pas à m’affirmer même dans ma propre maison. Depuis que je joue au rugby, j’ai appris la confiance, le respect de moi-même et le dépassement. C’est une école de la vie. » Un propos sobre mais fort, qui en dit long sur l’impact social du rugby en cours de gestation.

Les défis à relever pour devenir une véritable terre de rugby

Si l’engouement est bien présent, plusieurs défis freinent encore l’essor du rugby en Guinée. Le manque d’infrastructures adaptées, de matériel de qualité et la rareté des financements restent des obstacles majeurs. Bon nombre de clubs s’entraînent sur des terrains vagues, partagés avec d’autres disciplines, et doivent improviser avec les moyens du bord. L’absence d’une ligue professionnelle constitue aussi une limite non négligeable pour structurer la pratique sur le long terme.

Cependant, des partenariats commencent à émerger avec des ONG, des ambassades et des clubs étrangers. En 2022, l’ambassade de France a soutenu l’organisation d’un tournoi franco-guinéen à Conakry qui a rassemblé plus de 300 jeunes. De même, l’Agence Française de Développement s’intéresse à la dimension éducative du rugby dans ses programmes jeunesse. Des pistes prometteuses pour ancrer durablement le sport dans les priorités des politiques sportives nationales.

Et si le rugby était un tremplin pour la jeunesse ?

S’il est encore trop tôt pour parler d’une révolution rugbystique en Guinée, il est évident que les graines plantées depuis quelques années prennent racine. L’intérêt grandissant des jeunes, la multiplication des clubs locaux, les premiers résultats en compétitions régionales et l’implication croissante des femmes témoignent d’un changement de paradigme dans le paysage sportif guinéen.

Le rugby offre non seulement une opportunité de pratique sportive, mais il renforce aussi les dynamiques communautaires. Il fédère des jeunes autour d’un objectif commun, les éloigne de pratiques à risques, et surtout leur transmet des valeurs fondamentales dans un contexte parfois déstructuré. Comme le dit si justement Kadiatou, une coache bénévole du club de Sonfonia : « On ne joue pas au rugby pour être célèbre, mais pour devenir quelqu’un. »

S’il continue sur sa lancée, le rugby pourrait bien devenir un levier stratégique pour encourager la pratique du sport chez les jeunes, renforcer le tissu associatif local et même améliorer l’image du pays sur la scène internationale. Un défi à la mesure d’une jeunesse qui n’attend qu’un coup d’envoi… pour foncer vers l’essai.