Une transition à hauts enjeux
Depuis le 5 septembre 2021, date du renversement du président Alpha Condé par le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), la Guinée est entrée dans une nouvelle phase de son histoire politique. Le colonel Mamadi Doumbouya, désormais président de la transition, avait alors promis de restaurer l’intégrité des institutions et de remettre le pays sur les rails d’un État de droit. Plus de deux ans après, l’enthousiasme des premiers jours semble céder la place à une attente fébrile, entre espoirs nourris et incertitudes grandissantes.
Le processus de transition en Guinée ne se résume pas à un simple changement de leadership. Il s’agit d’une refondation annoncée des structures de l’État, d’une redéfinition des priorités nationales et, surtout, d’un contrat social à rebâtir entre les gouvernants et les citoyens. Mais cette ambition, aussi louable soit-elle, peine à se concrétiser, du moins aux yeux de nombreux Guinéens.
Un calendrier électoral qui tarde
Au cœur des tensions : l’absence de calendrier électoral clair et consensuel. Alors que le CNRD a fixé à 24 mois la durée de la transition à compter de janvier 2023, beaucoup questionnent la faisabilité d’organiser des élections crédibles dans un délai aussi serré. Le recensement en vue de la refonte du fichier électoral, l’audit du système administratif, ou encore la mise en place des institutions de la transition sont autant d’étapes incontournables… mais loin d’être achevées.
Les partis politiques, notamment les grands acteurs de l’opposition comme l’UFDG de Cellou Dalein Diallo ou l’UFR de Sidya Touré, dénoncent un manque de transparence dans la gestion du processus. Ils réclament un dialogue politique inclusif, avec la participation de toutes les forces vives de la nation. De leur côté, plusieurs organisations de la société civile, telles que le FNDC (Front National pour la Défense de la Constitution), ont exprimé leur méfiance quant aux intentions réelles de la junte au pouvoir.
Les promesses socio-économiques à l’épreuve du réel
Sur le terrain économique et social, les attentes sont tout aussi fortes. Lors de sa prise de pouvoir, le colonel Doumbouya avait promis de lutter contre la corruption, d’assainir les finances publiques et de favoriser un développement équilibré entre les régions. Certaines mesures ont été lancées : audits administratifs, suspension de contrats jugés léonins dans le secteur minier, relance de certains chantiers sociaux. Mais dans la réalité quotidienne, l’impact peine encore à se faire sentir.
Dans plusieurs villes du pays, les prix des denrées alimentaires de base ont grimpé de 15 à 30 % en un an, selon les données du ministère du Commerce. À Conakry, une vendeuse de poisson au marché de Madina confiait récemment : « Les clients viennent avec la même somme qu’avant, mais repartent avec moitié moins. » Une situation qui alimente frustrations et impatience, surtout dans les zones rurales, où les infrastructures restent fortement dégradées et les services de base difficiles d’accès.
La sécurité, une inquiétude persistante
L’un des engagements phares de la transition est la réforme du secteur de la sécurité. La Guinée, comme beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest, fait face à des défis sécuritaires croissants : instabilité régionale, trafics transfrontaliers, tensions communautaires. Si le discours officiel prône la professionnalisation des forces de défense et de sécurité, sur le terrain, les bavures policières, les arrestations arbitraires et les restrictions de liberté de manifestation continuent d’alimenter les craintes d’un retour à des pratiques autoritaires.
En avril dernier, plusieurs manifestations organisées par des collectifs citoyens ont été dispersées à coups de gaz lacrymogènes. Bilan : des blessés, des arrestations, et un climat de tension qui refroidit les ardeurs démocratiques. Certains analystes estiment que la junte peine à équilibrer fermeté et respect des droits civiques. Et beaucoup se demandent : la sécurité nationale peut-elle être renforcée sans sacrifier les libertés fondamentales ?
Le rôle ambivalent des institutions sous transition
La charte de la transition prévoit la création de plusieurs organes : Conseil National de la Transition (CNT), gouvernement de transition, Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF)… Autant d’instruments censés garantir la transparence et la reddition de comptes. Toutefois, leur fonctionnement ouvre aussi le débat.
Le CNT, censé jouer le rôle de parlement provisoire, est critiqué sur sa capacité à jouer un contrepoids au pouvoir exécutif. Quant à la CRIEF, bien qu’ayant lancé des procédures contre plusieurs anciens dignitaires du régime Alpha Condé, elle fait face à des accusations de « chasse aux sorcières » par certains concernés. Difficile dans ces conditions de concilier justice transitionnelle et impartialité juridique.
Espoirs populaires et soif de stabilité
Malgré les zones d’ombre, nombre de Guinéens gardent l’espoir d’un réel changement. Dans les quartiers de Conakry, à Labé, Kankan ou Nzérékoré, on perçoit un mélange de scepticisme prudent et de résilience. Comme le dit Mamadou, enseignant à Boké : « On a vécu trop de ruptures pour se contenter de promesses, mais on ne peut pas éteindre l’espoir que cette fois sera la bonne. »
Les attentes sont claires :
- Une meilleure gouvernance basée sur la transparence et la responsabilité.
- La relance des économies locales, notamment dans l’agriculture et le tourisme durable.
- La participation effective des jeunes et des femmes aux prises de décision.
- Un retour à l’ordre constitutionnel respectueux des libertés fondamentales.
Ces aspirations traduisent une volonté profonde de tourner la page des incertitudes, sans pour autant oublier les erreurs du passé. Elles constituent également un appel pressant adressé aux autorités de la transition : celui d’agir, de dialoguer, mais aussi d’écouter.
Tourisme et culture : une opportunité à saisir
Fait souvent négligé dans le débat politique, le secteur du tourisme pourrait pourtant jouer un rôle dans le processus de stabilisation et de réconciliation nationale. La diversité culturelle et les paysages naturels de la Guinée sont une richesse encore sous-exploitée. En favorisant un tourisme communautaire et responsable, les autorités pourraient non seulement créer des emplois mais aussi renforcer le sentiment d’appartenance nationale.
Des initiatives locales commencent à voir le jour. À Dalaba, des jeunes entrepreneurs misent sur l’écotourisme en valorisant le patrimoine peul. À Kindia, des guides proposent des circuits éducatifs autour des cascades et des sites historiques. Autant d’initiatives qui méritent plus de visibilité, d’encadrement et de soutien politique.
Un avenir à écrire ensemble
La transition en Guinée reste à un carrefour décisif. L’heure est venue de transformer les slogans en résultats concrets, les discours en actions tangibles. Cela passe par une volonté sincère d’inclusion, par le respect des engagements pris, mais aussi par un dialogue constant avec la population. La réussite de cette transition ne se jouera pas uniquement dans les palais administratifs ou lors des conférences de presse : elle s’écrit chaque jour, dans les quartiers, les villages, les marchés. Avec et pour les citoyens.
Comme souvent dans l’histoire guinéenne, les défis sont nombreux, mais la conviction collective reste forte. Si la transition parvient à canaliser cette énergie populaire, elle pourra devenir un modèle et non un précédent. Car au fond, au-delà des institutions et des bulletins de vote, ce que les Guinéens réclament aujourd’hui, c’est une place dans le projet de leur propre pays.