La situation sécuritaire en Guinée suscite l’inquiétude des habitants

La situation sécuritaire en Guinée suscite l'inquiétude des habitants

Un climat de plus en plus pesant dans les grandes villes

À Conakry, le sentiment d’insécurité ne cesse de se renforcer ces derniers mois. Entre les délestages électriques, les embouteillages permanents et l’inflation galopante, un autre sujet s’invite désormais dans toutes les conversations : la peur. Peur de sortir tard, peur de se faire agresser, peur d’un climat tendu qui, peu à peu, mine la vie quotidienne des habitants.

“On ne peut plus rentrer à pied à partir de 20h. Même en taxi, si tu n’es pas vigilant, tu te fais dépouiller”, raconte Mariama, une étudiante du quartier Koloma. Comme elle, de nombreux jeunes racontent dans les rues de la capitale une même angoisse : celle d’une insécurité qui se propage à tous les niveaux, du vol à la petite délinquance jusqu’aux actes violents souvent non élucidés.

Une criminalité urbaine en hausse et difficile à contenir

Si les autorités parlent régulièrement d’efforts pour sécuriser les zones sensibles, sur le terrain, la réalité est plus nuancée. Les récents braquages en plein jour dans les zones de Madina, Dixinn ou encore Hamdallaye viennent illustrer une montée de la criminalité urbaine dans des secteurs auparavant considérés comme « sûrs ».

Les petites et moyennes entreprises, les commerces, mais aussi les touristes de passage se retrouvent touchés. “Nous avons récemment perdu trois réservations d’Européens pour notre maison d’hôtes. Ils ont annulé dès qu’ils ont entendu parler d’un vol armé non loin de l’aéroport”, confie Ibrahima, responsable d’un lodge touristique à Coyah.

Afin de rassurer la population, les forces de sécurité multiplient les patrouilles. Mais cela suffit-il lorsque les coupables restent impunis ? Lorsqu’une agression n’aboutit à aucune enquête ? Quand des familles attendent toujours des nouvelles d’un proche disparu ?

Une confiance en berne envers les autorités

De l’avis de nombreux citoyens, ce qui inquiète tout autant que la criminalité elle-même, c’est la réponse, bien souvent tardive ou inefficace, des pouvoirs publics. “Quand on signale un vol dans notre quartier, la police arrive parfois le lendemain. Cela crée un sentiment d’abandon”, déplore Mamadou, habitant à Kipé.

Ce ressenti est renforcé par des cas de corruption ou d’abus perpétrés par certains agents des forces de l’ordre. Des contrôles arbitraires, des interventions musclées sans base légale… autant d’actions qui érodent peu à peu la confiance dans l’appareil sécuritaire. Comme le dit Aminata, vendeuse à Madina : “Aujourd’hui, les gens ont presque autant peur de certains policiers que des voleurs.”

Quelle sécurité pour les zones rurales ?

Si les grandes villes concentrent l’attention médiatique en raison de leur forte population, les zones rurales guinéennes ne sont pas épargnées par cette dégradation sécuritaire. Au contraire.

Dans plusieurs villages de la région de la Haute Guinée, des habitants dénoncent des incursions nocturnes, des vols de bétail et l’absence quasi-totale de présence policière. Le chef de village de Dabola, rencontré récemment par notre rédaction, affirme : “En cas de problème, les habitants se débrouillent comme ils peuvent, souvent à l’aide du système de veille communautaire que nous avons mis en place nous-mêmes.”

Si cette initiative démontre la résilience des communautés rurales, elle interroge sur le désengagement de l’État dans certaines parties du territoire. Comment espérer relancer le tourisme intérieur si les zones naturelles et culturelles ne sont pas perçues comme sécurisées ni accessibles sereinement ?

L’impact sur le tourisme et l’économie de proximité

Le secteur touristique en Guinée, déjà fragilisé par la pandémie de COVID-19, subit de plein fouet les effets de cette insécurité grandissante. Les excursions dans les îles de Loos, les visites de Kindia ou encore les circuits vers les monts Nimba attirent encore, certes, mais à quel prix ?

Certains opérateurs touristiques déplorent des baisses fréquentes de fréquentation liées à des incidents signalés sur les routes. “Quand un touriste entend que des coupeurs de route sévissent sur la Nationale 1, il reporte ou annule son voyage, même si l’info est infondée,” explique Tierno, guide local à Labé.

Conséquence directe : restaurants, hôtels familiaux, transporteurs et artisans locaux voient leurs revenus chuter. Ce sont précisément ces micro-activités qui font vivre des dizaines de milliers de Guinéens dans les régions. Moins de visiteurs, c’est aussi moins de ventes, moins d’entrées au musée, moins d’achats d’objets artisanaux. Cela questionne sur l’équilibre entre sécurité et développement local durable.

Des initiatives locales pour reprendre le contrôle

Heureusement, dans cette atmosphère incertaine, des voix s’élèvent et agissent. Associations de quartiers, collectifs de jeunesse ou simples citoyens organisent des systèmes de veille nocturne, de médiation ou de sensibilisation à la non-violence.

À Matoto, le groupement “Sécurité pour Tous” réunit chaque semaine une dizaine de jeunes pour faire la ronde dans les rues et prévenir vols, agressions ou mouvements suspects. “Ce n’est pas notre rôle à proprement parler, mais on ne peut plus attendre que ça vienne d’en haut”, explique Fodé Camara, l’un des coordinateurs.

Ces initiatives, bien qu’encourageantes, posent cependant d’autres questions : doivent-elles pallier les lacunes de l’État ? Faut-il institutionnaliser ces formes de sécurité participative ? Ne risquent-elles pas parfois de déraper si elles ne sont pas encadrées par un cadre légal ou un suivi rigoureux ?

Une jeunesse inquiète mais déterminée

Les jeunes constituent à la fois la principale cible et la principale force de résilience face à l’insécurité guinéenne. Nombre d’entre eux témoignent de leur peur pour leur avenir, faute d’opportunités professionnelles et sociales clairement identifiées.

Mais ce sont aussi eux qui, au quotidien, innovent, alertent et bâtissent des solutions locales. Start-ups axées sur la sécurité numérique, plateformes communautaires pour signaler en temps réel les incidents ou campagnes de sensibilisation à la paix : ces dynamiques ne manquent pas.

L’assise d’un développement pérenne passe indéniablement par le renforcement de leur rôle. “Si on veut que la Guinée attire à nouveau ceux qui voyagent, il faut commencer par faire sentir à nos propres jeunes qu’ils ont leur place ici, et qu’ils peuvent s’y sentir en sécurité. Le reste suivra,” analyse Fatoumata, sociologue installée à Kindia.

Entre défis sécuritaires et espoirs collectifs

Le climat sécuritaire actuel en Guinée ne peut être ignoré, minimisé ni banalisé. Il s’impose comme une préoccupation majeure, tant pour la population que pour les acteurs économiques et touristiques du pays.

Mais si les inquiétudes sont légitimes, elles ne doivent pas écraser les élans d’espoir. Les voix qui s’élèvent pour alerter, agir ou proposer des solutions témoignent d’un tissu social toujours vif, créatif et mobilisé. À condition qu’elles trouvent un écho politique et institutionnel à la hauteur des enjeux.

À l’heure où de plus en plus de Guinéens redoutent pour leur sécurité, la question devient urgente : qui protégera celles et ceux qui veulent simplement vivre, travailler, et contribuer à bâtir une Guinée paisible et accueillante ?