Un pilier de l’économie locale sous pression
Sur les côtes guinéennes, de Boffa à Kamsar, en passant par les criques de la préfecture de Forécariah, la pêche artisanale constitue l’un des moteurs vitaux de l’économie locale. Elle fait vivre des milliers de familles, alimente les marchés en poissons frais et structure une large partie du tissu communautaire côtier.
Mais depuis quelques années, ce secteur longtemps marginalisé mais résilient se trouve à un tournant majeur. Face à la raréfaction des ressources halieutiques, à la pression croissante des flottes industrielles et aux défis d’une modernisation encore hésitante, les pêcheurs artisanaux doivent s’adapter pour survivre.
Du filet à la pirogue : une tradition qui perdure
« Mon père pêchait ici bien avant moi, et c’est avec lui que j’ai appris à ramer, jeter le filet et lire la mer », confie Alpha Sidibé, pêcheur de 38 ans à Koba, les pieds encore humides après une sortie matinale. Depuis des générations, les communautés de la région côtière vivent au rythme des marées, transmettant un savoir-faire ancré dans l’observation et l’endurance.
Les techniques de pêche restent en majorité traditionnelles : utilisation de pirogues en bois, filets maillés et glacières artisanales pour conserver les prises. Les hommes partent souvent au large, pendant que les femmes gèrent le fumage, le séchage ou la vente sur les marchés de proximité.
Mais ce mode de vie, longtemps considéré comme immuable, est aujourd’hui bousculé par une double pression : celle des ressources marines qui s’épuisent et celle des impératifs économiques.
Une mer moins généreuse, une pêche plus incertaine
Selon la Direction nationale de la pêche artisanale, les prises moyennes par sortie ont diminué de près de 30 % en cinq ans dans certaines zones comme Télimélé ou Dubréka. En cause : la surpêche, la pêche illégale et les changements environnementaux qui modifient les comportements migratoires des espèces.
« Avant, en une sortie, on pouvait ramener 40 à 50 kilos de poissons. Aujourd’hui, même avec deux sorties, on atteint difficilement 25 kilos » déplore Mamadou Kaba, président d’une coopérative de pêcheurs à Benty, dans la région de Forécariah.
La concurrence est également de plus en plus rude. Des bateaux industriels, souvent étrangers, pêchent au large sans toujours respecter les zones réservées à la pêche artisanale. Les autorités peinent à faire respecter les régulations, malgré les efforts récents pour renforcer la surveillance maritime.
Tentatives de modernisation : entre volontarisme et obstacles
Face à cette situation, plusieurs initiatives cherchent à accompagner la mutation du secteur. Programmes de formation, modernisation des équipements, création de points de débarquement aménagés… le gouvernement et certains partenaires internationaux, comme l’Union européenne et la FAO, multiplient les projets pilotes.
À Kamsar, un projet de construction d’un quai moderne pour les pêcheurs artisanaux a récemment vu le jour. Le lieu est équipé de chambres froides et de conditions d’hygiène améliorées. Mais son accès reste limité. « Seuls quelques privilégiés peuvent en bénéficier pour l’instant », reconnaît un technicien du projet, sous couvert d’anonymat.
L’un des problèmes récurrents reste le manque d’accès au financement. Beaucoup de pêcheurs n’ont ni titres fonciers ni garanties bancaires, ce qui les empêche de solliciter des crédits pour acheter du matériel plus performant ou réparer leurs pirogues.
Les femmes de la filière : invisibles mais essentielles
Dans l’ombre des embarcations, le rôle des femmes dans la chaîne de valeur est souvent sous-estimé. Pourtant, elles sont largement majoritaires dans les activités de post-capture : séchage, fumage, salage, transport et commercialisation du poisson.
Aminata Camara, vendeuse à Tanéné, souligne : « Sans nous, le poisson ne quitterait pas les quais. On le transforme, on le transporte, on négocie les prix. Mais on nous oublie souvent dans les projets de développement. »
Certains groupements féminins tentent de briser cette invisibilité. À Kito, un collectif de femmes a lancé un projet pilote de microcrédit pour moderniser les techniques de fumage avec des fours améliorés, à faible consommation de bois. Une manière de réduire leur impact environnemental tout en augmentant leur productivité.
Enjeu environnemental : la mer souffre aussi
Outre l’aspect économique et social, la pêche artisanale en Guinée est confrontée à un autre défi de taille : la préservation de l’environnement marin. La déforestation côtière, les déchets plastiques jetés dans les zones de pêche ou encore les pratiques de pêche non durables fragilisent les écosystèmes.
À Boffa, la mangrove, véritable nurserie pour de nombreuses espèces de poissons, est en recul constant. Des initiatives communautaires voient le jour pour essayer d’enrayer ce phénomène, comme la replantation de palétuviers ou la sensibilisation à une pêche responsable.
Le ministère de la Pêche soutient également des campagnes de sensibilisation auprès des écoles et des communautés de pêcheurs. Mais les moyens restent insuffisants face à l’ampleur des défis.
Vers un modèle plus résilient et durable ?
Malgré ces contraintes, des signes d’espoir émergent. Dans plusieurs localités, des coopératives prennent leur destin en main. À Dubréka par exemple, des jeunes pêcheurs ont mis en place un système de rotation et de quotas au sein de leur groupement, afin de préserver les stocks de barracudas et de capitaines.
De plus, la digitalisation commence timidement à faire son apparition. Une application mobile récemment lancée permet, à travers un simple téléphone, de signaler les bateaux pirates ou de comparer les prix du poisson dans différents marchés locaux.
Mais c’est surtout par la structuration du secteur que viendront les changements profonds : reconnaissance officielle des organisations de pêcheurs, sécurisation de l’accès à la mer, appui à la transformation locale et intégration des femmes dans les mécanismes décisionnels.
Une filière à écouter, à protéger et à valoriser
La pêche artisanale en Guinée, souvent perçue comme un secteur informel et mineur, est pourtant un levier stratégique pour la souveraineté alimentaire, l’emploi rural et la résilience communautaire.
Elle mérite une attention soutenue des décideurs, des partenaires financiers et des citoyens eux-mêmes. Chacun peut jouer un rôle, y compris dans ses choix de consommation : privilégier le poisson local, s’informer sur les conditions de pêche, appuyer les circuits courts…
Comme le dit Alpha Sidibé, les yeux tournés vers l’horizon : « Nous n’avons pas besoin de pitié. Juste d’un peu de respect, et de moyens pour pêcher dignement. »