Les projets d’infrastructures routières avancent lentement en Guinée

Les projets d'infrastructures routières avancent lentement en Guinée

Une lenteur qui interroge

En Guinée, les ambitions en matière d’infrastructures routières sont bien là. Depuis plusieurs années, les autorités annoncent des projets de réhabilitation, de construction et de bitumage censés désenclaver les régions et stimuler l’économie locale. Pourtant, sur le terrain, les avancées se font au compte-gouttes. À Conakry comme dans l’arrière-pays, les routes se font attendre et les populations s’impatientent. Une réalité contrastée qui mériterait un examen lucide.

Une volonté politique affichée, mais des résultats mitigés

Dès 2021, le gouvernement guinéen avait fait du renouvellement des infrastructures routières une priorité. Plusieurs plans ont vu le jour, à commencer par le Programme d’Entretien Routier Annuel (PERA) piloté par le Fonds d’Entretien Routier (FER). Des axes majeurs comme Coyah-Dabola, Labé-Mali ou encore la pénétrante Nord de Conakry ont fait l’objet de contrats avec des entreprises locales et étrangères.

Mais sur les 4 500 km de routes nationales que compte le pays, à peine 30 % sont bitumées à ce jour, selon les chiffres du ministère des Infrastructures. Le reste demeure en terre battue, souvent impraticable pendant la saison des pluies. Certains projets annoncés depuis 2017, comme la route Kankan-Kérouané ou Dabola-Faranah, peinent toujours à démarrer.

Sur le terrain, des populations résignées et fatiguées

À Forécariah, Mariam, commerçante de 42 ans, n’en peut plus des trajets interminables pour rallier Conakry. « En saison sèche, on met quatre heures pour faire 90 km. En saison pluvieuse, c’est parfois le double, avec des pannes en cours de route à cause des nids-de-poule qui ressemblent à des cratères », soupire-t-elle.

Dans la région de Labé, l’axe Labé-Koubia est devenu un exemple criant de l’inefficacité de certaines opérations d’entretien. Des travaux commencés en 2020 ont été suspendus à plusieurs reprises, faute de financement ou à cause de désaccords avec les entreprises contractantes.

« On voit des engins arriver, creuser un peu, puis plus rien. Les panneaux de chantier restent, mais les routes restent impraticables », commente Alpha Oumar, chauffeur de taxi-brousse.

Pourquoi ça traîne ? Décryptage des blocages

Les causes de ces lenteurs sont plurielles. D’abord, le financement reste un défi. Bien que le FER collecte une taxe sur les carburants pour entretenir les routes, les montants disponibles sont insuffisants face aux besoins. À cela s’ajoute la dépendance importante aux financements extérieurs, avec les lourdeurs administratives que cela implique.

Ensuite, la gouvernance des projets pose souvent problème. Les appels d’offres ne sont pas toujours transparents, certains marchés publics sont attribués sans appels d’offres formels, et les contrôles de qualité laissent à désirer. Plusieurs audits du ministère des Infrastructures ont révélé des chantiers bâclés ou abandonnés sans justification claire.

Enfin, les défis logistiques liés aux conditions géographiques (relief accidenté, zones inondables) compliquent davantage l’exécution des travaux, particulièrement en Haute Guinée et en Guinée Forestière.

Des conséquences économiques lourdes

Le retard dans les infrastructures routières ne se limite pas à une gêne pour les voyageurs : il freine l’ensemble de l’économie nationale. Dans les zones rurales, plusieurs activités dépendent directement de l’état des routes. Cultures maraîchères, commerce de bétail, transport de poissons ou encore exportations minières… tout passe par la route.

Prenons l’exemple de Kérouané. Là-bas, les producteurs de manioc peuvent perdre jusqu’à 40 % de leur récolte, faute de pouvoir l’acheminer à temps vers les marchés urbains. Le manque de routes carrossables force les transporteurs à emprunter des pistes alternatives, allongeant le trajet et les coûts.

Même Conakry, malgré sa densité urbaine, ne fait pas exception. Une étude de la Banque mondiale estime que les embouteillages liés à la dégradation du réseau routier coûtent près de 2 % du PIB chaque année.

Derrière les chiffres, des réalités humaines

Au-delà des données techniques et des montants d’investissement, ce sont des vies quotidiennes qui sont affectées. Zakaria, 28 ans, mécanicien à Nzérékoré, explique : « Plusieurs fois, je perds des clients à cause des retards liés aux transports. Quand quelqu’un m’envoie son générateur par Pick-up, il faut trois jours parfois pour qu’il arrive. Et souvent, il est plus abîmé qu’à l’envoi. »

Mamadou, élève de terminale à Kissidougou, raconte quant à lui qu’il lui arrive de manquer l’école pendant la saison des pluies. « Il suffit que le pont soit emporté par les eaux et on reste bloqués au village. Une fois, on a raté deux semaines de cours. »

Ces récits du quotidien traduisent une frustration grandissante face à un secteur perçu comme délaissé.

Des alternatives locales et initiatives communautaires

Face à l’attentisme de l’État, certaines communautés prennent les devants. À Koundara, par exemple, un projet de réhabilitation de piste rurale a vu le jour avec l’appui d’une association de ressortissants. En quelques semaines, les jeunes du village ont réussi à niveler une portion de route de 2 km avec des moyens rudimentaires.

À Kouroussa, ce sont des conducteurs de taxis-motos qui ont organisé une collecte pour combler un ravin dangereux sur leur axe principal. « Personne ne venait. Alors on a acheté du gravier et chacun a donné un coup de main », témoigne Issiaga, membre du groupe.

Ces efforts montrent une volonté locale de ne pas rester passif, mais ils soulèvent aussi une question : jusqu’à quand les citoyens devront-ils pallier les défaillances structurelles des pouvoirs publics ?

Quels leviers pour accélérer les projets ?

Pour que les initiatives d’infrastructures routières en Guinée cessent d’être des promesses sans lendemain, plusieurs pistes peuvent être envisagées :

  • Rendre la commande publique plus transparente : les appels d’offres devraient être publics, traçables et encadrés par une autorité indépendante.
  • Renforcer la surveillance des chantiers : mettre en place des dispositifs de contrôle citoyen ou associatif pour suivre l’évolution des travaux.
  • Favoriser les partenariats locaux : intégrer les collectivités locales et les organisations communautaires dans la planification des travaux pour mieux cibler les priorités.
  • Stabiliser les financements : garantir que les ressources du Fonds d’entretien routier soient exclusivement allouées aux routes et qu’elles soient suffisantes.
  • Investir dans la formation : développer les compétences locales en ingénierie, suivi de projets et gestion d’infrastructures, afin de limiter la dépendance aux sociétés étrangères.

Enfin, la création d’une application ou d’une plateforme numérique permettant à tout citoyen de signaler l’état des routes, avec photos, pourrait constituer un outil puissant de veille et d’action.

Et maintenant ? Une prise de conscience nécessaire

Il ne suffit plus aujourd’hui d’annoncer des projets. La population guinéenne attend des résultats concrets. Dans un pays où la route est souvent le seul lien entre l’hôpital, le marché et l’école, investir sérieusement dans les infrastructures routières revient à investir dans le développement humain tout court.

Les chantiers existent, les compétences aussi. Ce qui manque ? Une vision cohérente, un suivi rigoureux, et surtout, une volonté politique forte susceptible de résister au temps et aux cycles électoraux. Autant d’éléments que les citoyens guinéens observent désormais avec la plus grande attention.